Depuis mi-février, le logiciel CoopCycle fonctionne à Bruxelles. Molenbike, la coopérative de livreurs qui l’utilise, a même été primée pour cela ! La question de la valorisation et de la protection dudit logiciel devient de plus en plus importante. Comment le protéger d’une prédation capitaliste tout en permettant au plus grand nombre d’en bénéficier ? Nous vous proposons de revenir brièvement sur l’état actuel du droit d’auteur, avant de voir de quelle façon il est conciliable avec les valeurs et objectifs de CoopCycle.
- Rappel sur le droit d’auteur appliqué au logiciel
1.1. Rapide présentation du droit d’auteur
En droit français, les logiciels sont assimilés à des œuvres de l’esprit et bénéficient donc de la protection conférée par le droit d’auteur. Cette protection naît au fur et à mesure de la création, et n’est donc pas subordonnée à une action positive du créateur, à l’inverse de ce qui s’observe en droit de la propriété industrielle, avec le dépôt à l’INPI.
Cette protection se divise en 2 grandes catégories de droits : les droits moraux et les droits patrimoniaux.
Les droits moraux sont incessibles, inaliénables et imprescriptibles : l’auteur ne peut y renoncer, ou les céder. Ils sont transmis à ses héritiers après sa mort. Ces droits sont :
- le droit de paternité : celui de voir son nom ou pseudo apposé sur l’œuvre,
- le droit de divulgation : celui de décider du moment où l’œuvre sera rendue publique,
- le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, qui consiste en un droit de regard et d’opposition à toute modification envisagée sur l’œuvre,
- le droit de repentir : celui de retirer l’œuvre de la circulation.
A l’inverse, les droits patrimoniaux, les droits de représentation et de reproduction sont cessibles par l’auteur et s’éteignent au 1er janvier suivant les 70 ans de son décès, sauf exceptions dues au prorogations de guerre ou au fait que l’auteur soit mort pour la France (Ce qui explique que le Petit Prince soit tombé dans le domaine public partout dans le monde, sauf en France).
1.2. Le cas particulier du logiciel
Cet état du droit date de la loi de 1957, qui n’avait de toute évidence pas pu prendre en compte les logiciels. Ceux-ci vont se voir reconnaître la protection par le droit d’auteur avec une loi de 1985, puis par une directive européenne de 1991, non sans débat puisqu’une partie de la doctrine a contesté et conteste encore la reconnaissance de l’originalité, condition nécessaire à la protection par le droit d’auteur, concernant le logiciel. En effet, l’originalité étant définie par le droit français comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur son œuvre, ce qui est très critiquable.
Cela explique sans doute pourquoi il a été reconnu au logiciel une protection particulière par le droit d’auteur, que je ne vais que survoler puisque ce n’est pas le cœur de notre problématique. En résumé, la titulature des droits d’auteur sur le logiciel peut être reconnue, sous conditions, non pas à l’auteur mais à son employeur, ou à la personne qui est à l’initiative du projet collectif ayant abouti à la création du logiciel. Enfin, le droit moral de l’auteur est considérablement réduit : le droit de repentir est exclu et le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre ramené aux seuls cas où la modification serait préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’auteur.
1.3. La licence libre
Ce régime est profondément insatisfaisant, puisqu’il ne laisse pas le choix à l’auteur de la protection ou non de son logiciel, mais en plus il peut conduire à une dévolution automatique des droits ainsi reconnus à l’employeur du logiciel. De fait, il devient très compliqué et surtout beaucoup trop lent pour les développeurs de partager entre eux leurs créations, que ce soit pour solliciter de l’aide ou accélérer l'innovation.
C’est pourquoi Richard Stallman, le père du logiciel libre, va rédiger en 1989 la première licence dite libre, la GNU-GPL, laquelle stipule que l’auteur d’un logiciel distribué sous cette licence en autorise la libre exécution, copie, étude, modification et diffusion. Ce type de licence a mis du temps à être reconnu comme juridiquement valable, surtout en France. Mais il a très vite été adopté par les entreprises qui y ont vu un intérêt économique considérable. Ainsi, IBM serait à l’origine de 25% de la production du code pour le noyau de Linux, qui à son tour sert de base aux développement des logiciels propriétaires de la firme américaine. On touche ici à certaines limites du modèle libriste qui motive CoopCycle à prôner l'adoption d’une licence particulière: premièrement la récupération du travail des Communs par des entités privées lucratives, donc comme travail gratuit et deuxièmement la pression concurrentielle exercée sur les coopératives salariant leurs travailleurs par des entreprises utilisant le logiciel mais faisant appel à des auto-entrepreneurs..
2. Quelles licences ?
2.1. Les revendications de CoopCycle
Dès l’origine du projet, CoopCycle s’est inscrit dans le mouvement des Communs, avec une volonté de proposer une alternative éthique, solidaire et responsable aux start-up déjà existantes de la foodtech. Il n’existe pas de définition de ce qu’est un Commun, mais on peut le résumer en un ensemble constitué d’une ressource, d’une communauté et des règles permettant l’usage de la première par la seconde, construites autour de la notion de faisceaux de droits. Comme un exemple vaut mieux que mille mots : Wikipédia est un Commun, dont la communauté est potentiellement l’humanité toute entière, avec des droits sur la ressource différents selon le statut : simple usager, contributeur, modérateur, etc.
Si Wikipedia prouve que les licences libres sont tout à fait compatibles avec la gestion en Commun, l’objectif politique ne l’est pas. En effet, vous conviendrez qu’il serait paradoxal de développer un logiciel dans le but d’offrir une alternative aux géants de la foodtech, plus responsable socialement, et dans le même temps de laisser se développer des entreprises beaucoup moins scrupuleuses quant au statut et à la protection sociale de leurs livreurs sur la base de ce même logiciel. C’est pourquoi aujourd’hui, toute la problématique à laquelle nous cherchons à répondre est celle de la licence adéquate pour concilier les grands idéaux du mouvement libriste avec cette exigence de responsabilité sociale.
2.2. L’état de la réflexion
# Le choix initial de la PPL
La licence peer production (PPL) choisie dès la rédaction des premières lignes de code, à laquelle il est toujours soumis aujourd’hui, est révélatrice de cette volonté, ainsi que de l’absence de juriste spécialisé en droit de la propriété intellectuelle au sein de l’association à ce moment là.
En effet, la PPL permettait de satisfaire à l’exigence de CoopCycle de n’encourager en aucune façon l’économie capitaliste. En effet, dérivée de la CC-BY-NC (attribution - usage non-commercial uniquement), la PPL interdit l’accès au bien qu’elle protège par toute entreprise capitaliste, et n’autorise son exploitation commerciale qu’aux coopératives. En apparence, elle semble donc être la licence parfaite pour CoopCycle, mais en réalité, ce n’est pas le cas. D’abord, parce qu’elle est dérivée d’une licence Creative Commons ; or celles-ci n’ont pas été pensées pour la protection de logiciel, et leur utilisation en ce sens est déconseillée. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une licence récente et peu utilisée, et en conséquence dont la valeur juridique n’est pas garantie, surtout en France où même les licences Creatives Commons ne sont toujours pas systématiquement considérées comme valables. Enfin, les conditions posées par la PPL quant à l’accès au bien protégé sont trop restrictives, et surtout en contradiction avec le droit français des sociétés coopératives. L’objectif aujourd’hui est donc de trouver un instrument juridique en adéquation avec la volonté politique de CoopCycle, mais compatible et reconnu par le droit français.
# Les développements à venir
Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir bénéficier des travaux menées par la Coop des Communs, une association parisienne dont le but est de tisser des liens entre l’ESS et les Communs, et qui a, notamment par le biais de Lionel Maurel, développée la licence Coopyright sous laquelle doivent être partagées les productions de l’association. Il s’agit en fait d’une articulation de deux licences Creative Commons autour d’une clause de discrimination, sur un modèle de raisonnement “si...alors”. Si le licencié remplit les conditions de la clause, il aura accès à l’objet de la licence selon les termes de la CC-BY-SA : il devra mentionner le nom de l’auteur et partager ses productions selon les mêmes conditions, sinon il y aura accès selon ceux de la licence CC-BY-NC-ND : il devra mentionner le nom de l’auteur et sera uniquement autorisé à partager la production telle quelle.
C’est là le grand intérêt de la licence Coopyright : reposer sur deux licences éprouvées et reconnues. Mais elle n’est pas sans défaut : ainsi, les conditions de discriminations établies par la Coop des Communs peuvent ne pas convenir à toutes les structures. Or, dans l’optique de voir cette nouvelle licence reconnue, il faut qu’elle soit appliquée en des termes identiques par beaucoup d’acteurs. Le prochain enjeu dans la poursuite de cette expérimentation sera d’édicter des critères de discrimination à la fois suffisamment généraux pour convenir au plus grand nombre et suffisamment précis pour écarter les incertitudes juridiques. L’autre problématique est que, à l’instar de la PPL, la licence Coopyright est basée sur les Creative Commons et donc inadaptée au logiciel.
Et c’est donc là qu’on arrive, enfin, à l’objet des recherches et réflexions actuelles : rédiger une alternative à la licence Coopyright adaptée au logiciel et compatible avec les objectifs socio-politiques de CoopCycle.
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