*Pouf-pouf* (ou *clic-clic*). En deux tapotements du pouce sur smartphone (deux clics de souris sur un ordinateur) et en approximativement 0,43 seconde, vous êtes capable de « retweeter » un message.
Pour ceux qui sont restés bloqués dans les années 2000 ont voulu préserver leur santé mentale ne sont pas familiarisés avec Twitter, rappelons quelques principes de base. Soit un utilisateur de Twitter que nous appellerons, pour les besoins de la démonstration, Antoine Matter.
Antoine est « abonné » à un certain nombre de personnalités présentes sur Twitter, c’est-à-dire qu’il a choisi de recevoir leurs messages : ainsi est-il informé en temps réel du prochain album ou des embarras gastriques de Justin Bieber, par exemple. Mais Antoine a lui aussi ses propres abonnés.
Il peut s’adresser à eux directement en tapant un message. Il lui est également possible, et c’est ce qui nous intéresse ici, de relayer un message particulièrement touchant, intéressant, surprenant qu’il aurait reçu de Justin. Ainsi, étant moi-même un abonné d’Antoine mais non de Justin, je verrai pourtant le message concerné s’afficher sur mon écran, accompagné de la mention « retweeté par Antoine Matter ». Comprenez par là « repéré et porté à votre attention par Antoine Matter ».
C’est le retweet (RT) qui fait la puissance et le succès de Twitter, en ce qu’il permet de répandre un message à travers le réseau en quelques secondes : une « force de frappe » médiatique sans précédent. On apprend ainsi que le tweet de Barack Obama « four more years », accompagné d’une photo sur laquelle on le voit enlacer Michelle Obama, a été retweeté plus de 780 000 fois à travers le monde, avec plus de 27 000 retweets par minute au plus fort de la vague.
Le retweet est devenu un geste banal, que beaucoup font presque sans y penser, dès qu’un message les fait sourire ou les interpelle. Et pourtant, est-il si banal sur le plan juridique ? Le problème est plus précisément le suivant : un tweet, comme tout support d’expression, peut avoir un contenu illicite. Il a déjà été jugé qu’un tweet pouvait être constitutif de dénigrement (il salit la réputation d’une entreprise, par exemple en s’attaquant injustement à la qualité de ses prestations ou produits), ce qui engage la responsabilité civile de l’auteur du message (il pourra être amené à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé). Il peut également constituer une infraction pénale (injure, diffamation, divulgation de sondages la veille ou le jour d’une élection présidentielle…). Mais qu’en est-il d’une reprise, d’un retweet du message illicite ? Expose-t-il aux mêmes sanctions que le tweet initial ? Cet article sera l’occasion de formuler davantage de questions que de véritables réponses, mais c’est une étape nécessaire à tout nouveau sujet de recherche.
Prenez garde au côté obscur de Twitter… (logo officiel © Twitter, logo Batman par Josh Helfferich)
Les pénalistes d’élite qui me liront peut-être me pardonneront d’avoir tenté une nouvelle incursion sur leurs terres, mais il n’y a qu’en n’écrivant pas qu’on ne prend pas le risque de se tromper.
Problématique générale : est-ce que retweeter c’est répéter ?
Internet pose depuis longtemps une difficulté tenant aux différents niveaux de discours, aux renvois, aux références. Par le biais des liens hypertextes, il est possible de placer n’importe quel autre document B à un clic de souris du document A. Peut-être avez-vous cliqué sur les liens d’ores et déjà placés dans cet article, et avez-vous découvert l’article du journal Le Soir reprenant l’information relative à Barack Obama. Peut-on considérer que cet article de presse est incorporé à la présente note de blog ? Ou n’est-ce pas simplement une version un peu modernisée d’une note de bas de page, comme on en trouve depuis des siècles dans la littérature, notamment scientifique ?
Oui, mais le lien hypertexte apporte une facilité d’accès que ne procure pas la note de bas de page « papier ». Il suffit de cliquer ! Les fenêtres se juxtaposent, voire se remplacent l’une l’autre avec une facilité déconcertante. Ce qui n’est pas sans soulever des questions sur le plan juridique.
On consultera avec profit un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en date du 19 octobre 2011, Crookes vs. Newton. Une personne était poursuivie pour des faits de diffamation. Elle avait en réalité fait figurer sur son site internet deux liens hypertextes qui ne faisaient que mener vers le contenu diffamatoire proprement dit, se trouvant sur un site web distinct.
Question : inclure ces deux hyperliens revient-il à publier le contenu diffamatoire sur son propre site, ou est-ce un simple renvoi ? La Cour tente d’opérer des distinctions subtiles – on remarque d’ailleurs que l’un des juges a exprimé une opinion minoritaire. La décision reprend l’analogie entre les liens hypertextes et les bonnes vieilles notes de bas de page, et décide qu’il n’y a pas eu diffamation en l’espèce : renvoyer au contenu n’équivaut pas à le publier. Mais encore faudrait-il distinguer, à l’avenir : si le lien est présenté de manière à encourager fortement le lecteur à aller lire le contenu visé, voire s’il s’agit d’un lien « actif » (qui aboutit à incruster directement sur l’écran tout ou partie du contenu lié), la solution pourrait être différente, et le lien pourrait équivaloir à une publication.
Revenons à Twitter. Un « retweet » est plus qu’un simple lien : il affiche directement sous les yeux de vos abonnés le contenu que vous avez décidé de relayer. A suivre les critères dégagés ci-dessus, il semble bien que le retweet soit équivalent à une publication. Mais n’est-il pas possible de faire comprendre à vos lecteurs que vous prenez vos distances avec le contenu retweeté ? Le Citizen Media Law Project (CMLP), un projet de recherche rattaché à l’Université de Harvard, aborde la question dans un article fort intéressant. Il est relevé que de nombreux professionnels des médias américains font figurer dans leur « biographie » twitter (leur « bio ») un avertissement : « Mes RTs n’équivalent pas à des approbations [du contenu retweeté]« . J’ai d’ailleurs déjà rencontré ce même avertissement sur plusieurs comptes français.
Parfois, la prise de distance a lieu non d’une manière générale, mais au moyen d’une mention précédant le RT. Twitter permet en effet de RT un message « tel quel » (un RT « pur », en quelque sorte), ou bien de l’accompagner d’un commentaire personnel, plus ou moins explicite.
L’article du CMLP prend l’exemple intéressant du « no comment« , superbe antiphrase qui traduit toujours un commentaire, mais que le lecteur est censé trouver tellement évident qu’il doit se deviner. Il peut s’agir d’approbation ou de réprobation totales, selon le contexte. L’article donne un exemple concret de tweet politique, repris par un utilisateur avec un « no comment »… que l’on ne peut comprendre correctement qu’en découvrant ses tendances politiques personnelles, révélées dans ses autres tweets, ou parfois dans sa « biographie ». Ne comprendriez-vous pas différemment les tweets suivants (exemple fictifs) ?
- « @ChristineBoutin sans commentaire RT @Taubira Encore un peu de patience et le mariage pour tous deviendra une réalité »
- « @AssoGay sans commentaire RT @Taubira Encore un peu de patience et le mariage pour tous deviendra une réalité »
Ainsi, une prise de distance aussi sibylline qu’un « no comment » n’a aucun intérêt, en tout cas sur le plan juridique.
Ensuite, la clause générale « mes RTs ne sont pas des approbations » n’a probablement pas grande valeur, que ce soit en droit américain (V. l’article cité) ou en droit français. D’abord, parce que rien n’oblige à l’avoir lue avant de lire vos RTs : on ne peut donc prétendre qu’elle « fait corps » avec chacun de vos retweets. Ainsi, il est possible de tomber sur un retweet référencé dans Google (comme n’importe quel contenu public sur internet) et de le lire isolément de toute autre information, sans connaître la « bio » qui l’accompagne. Ensuite, il serait trop facile, par exemple, de prétendre se dédouaner par ce type de messages, avant de relayer joyeusement des dizaines de tweets incitant à la haine raciale. En matière pénale, particulièrement, le juge forgera sa conviction au regard du message incriminé et de ses circonstances, en ayant probablement très peu d’égard – voire aucun – pour votre « avertissement général ».
Essayons à présent de raisonner à partir de quelques exemples.
Cas pratique 1 : est-ce que retweeter, c’est diffamer ?
L’article 29 dispose : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation [...]« .
M. Cahuzac, le 4 décembre dernier, s’est clairement référé à ce texte en écrivant sur son compte Twitter l’avertissement suivant :
(Mise à jour février 2014 : lorsque l’on sait comment les choses ont tourné par la suite, ce message a une saveur très particulière…)
« Y compris ici », c’est-à-dire sur Twitter. Cette infraction, si elle était commise envers M. Cahuzac tomberait même dans le champ d’application de l’article 31 de la loi, qui réprime spécifiquement la diffamation « à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère » d’une peine plus élevée.
De quoi s’agit-il ? Mediapart a imputé au ministre du Budget des faits dont vous connaissez la nature si vous n’étiez pas dans le coma durant la semaine écoulée. Si par extraordinaire vous ignorez lesquels, faites une recherche Google… cette pirouette permet probablement d’écarter tout débat sur une éventuelle reproduction des faits infamants dans cet article, ce qui donne d’ailleurs à réfléchir.
Mais revenons en au RT. Mediapart a effectivement imputé au ministre un fait attentant à son honneur, ce qui constitue le délit de diffamation. Ces informations ont été reprises dans un tweet. Que se passe-t-il si vous le retweetez ? « C’est pas moi qui l’ai dit, c’est eux ! » Vous défendrez-vous. Mais l’art. 29 de la loi de 1881 précise bien : « [...] La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable [...]« (mis en gras par moi) .
D’accord, me direz-vous, alors je vais être prudent et faire comme ça : « @PetitMalin Je me demande si c’est vrai ? RT @Mediapart Selon nos informations, M. Cahuzac aurait [imputation attentatoire à l'honneur]« . Oui, mais le texte de la loi poursuit encore : « [...] La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative [...]« (mis en gras par moi).
Vous voici bien attrapé ! Mais n’est-ce pas un peu sévère ? L’explication est qu’il s’agit à l’origine de droit de la presse. Or, il serait un peu facile pour des médias professionnels de colporter toutes sortes de ragots nauséabonds en faisant simplement figurer un « c’est pas sûr que ce soit vrai, mais devinez ce qu’on raconte sur M. X, vous n’allez pas en revenir : [imputation attentatoire à l'honneur]« .
D’ailleurs, cette préoccupation reste d’actualité s’agissant des « journalistes amateurs » que sont les adeptes de Twitter. La rumeur nauséabonde peut même s’y répandre plus vite et plus efficacement que jamais, et il peut être bon que le parquet dispose d’un arsenal lui permettant d’agir face à elle. Pour autant, poursuivra-t-on massivement et systématiquement des armées d’anonymes ? Probablement pas. Mais les adversaires politiques participant à la diffusion de rumeurs, par exemple, devraient bien se méfier et ne pas avoir le RT trop facile : pour eux, on prendra peut-être la peine d’une poursuite ou d’une constitution de partie civile, car ils ont un intérêt direct et personnel à propager l’atteinte à l’honneur, ce qui mérite sans doute une réaction plus vive.
Mais vous protestez depuis tout à l’heure devant votre écran (je vous entendais, mais je réponds quand je veux) :« j’ai RT Mediapart, mais ce n’est pas un simple ragot puant, c’est une information sortie par un journal sérieux ». Oui, et cela mérite probablement d’être traité différemment de pures boulettes puantes non sourcées voire dont l’inexactitude a été démontrée. Si vous avez imputé à une personne un fait attentant à son honneur, il vous reste la possibilité de vous défendre de deux manières. D’abord, « l’exception de vérité » (exception signifiant ici « moyen de défense ») : vous démontrez que les faits reprochés se sont effectivement déroulés. Ce n’est pas toujours facile aux simples twittos que nous sommes dans une affaire comme celle-ci.
Et puis il y a « le fait justificatif de bonne foi », un peu différent : « le fait justificatif de bonne foi, distinct de l’exception de vérité des faits diffamatoires, se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que par le sérieux de l’enquête ». Mediapart lui-même va faire usage de ce fait justificatif en justice, ainsi qu’il l’a annoncé, en présentant ses éléments d’enquête. Si on considère que la bonne foi doit être appréciée avec plus de clémence face à des non-professionnels de l’information, on pourrait considérer que les twittos ont vu Mediapart avancer des arguments qui semblaient solides, et que cela devrait suffire à prouver leur bonne foi. La forme dubitative, qui n’empêche pas de se situer dans un premier temps dans le champ d’application de la diffamation, pourrait d’ailleurs jouer dans un deuxième temps en faveur de la bonne foi, en ce qu’elle traduit « l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure » attendus. Je ne pousse pas davantage les raisonnements spéculatifs, sinon on va vraiment finir par s’apercevoir que je suis un non-spécialiste absolu de ces questions.
J’ajoute pour aggraver mon cas que le fait d’empêcher purement et simplement les citoyens de communiquer entre eux sur une affaire qui pourrait remettre en cause l’intégrité d’un personnage public, lorsque des éléments suffisamment solides ont été avancés (mais à quel moment sont-ils suffisamment solides… ?), aboutirait à restreindre la liberté d’expression dans une mesure peut-être difficilement compatible avec la Convention européenne des Droits de l’Homme (sur ces questions, allez embêter Antoine Matter, Serge Slama et Nicolas Hervieu, ou Roseline Letteron).
Laissons là la diffamation, et passons à l’injure.
Cas pratique 2 : est-ce que retweeter, c’est insulter ?
La différence entre diffamation et injure figure à l’alinéa 2 de l’article 29 de la loi de 1881 : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».
La différence est nette la plupart du temps. " C’est un escroc " , sans plus de précision, est une injure, tandis que « il y a trois ans, il a escroqué la vieille dame de la rue des lilas » est une diffamation. « Espèce de nazi » est généralement une insulte – dont le succès d’ailleurs ne se dément pas -, sauf si vous reprochez à un vieillard réfugié en Amérique du Sud d’avoir participé à l’extermination des juifs dans tel camp polonais, auquel cas c’est une diffamation (et vous pourrez vous défendre par l’exception de vérité ou le fait justificatif de bonne foi).
On lit des dizaines de tweets insultants sur Twitter, tout comme on entend des dizaines d’insultes proférées dans les rues. L’infraction est constituée, ce qui ne veut pas dire qu’elle est poursuivie et punie.
Mais revenons-en à notre sujet. Retweeter une insulte sans autre précision peut être interprété comme une reprise à votre compte de l’expression outrageante, et vous exposer à commettre la même infraction. Le problème de la reproduction assortie de doutes ne se pose pas comme pour la diffamation. On imagine mal : « @PetitMalin Je me demande si c’est vrai ? RT @Agressif François Hollande espèce de Flambie ». Si vous retweetez une insulte, ce n’est pas pour émettre des doutes : soit vous êtes d’accord, et vous contribuez à l’agression, soit vous voulez marquer votre indignation, et on ne pourra pas vous reprocher, il me semble, d’avoir commis une infraction pénale.
Prenons l’exemple d’un tweet qui a beaucoup fait parler récemment, et qui compare Mme Cécile Duflot à divers animaux de basse-cour. Je prends moi-même immédiatement mes distances avec cette prose médiocre, sexiste, vulgaire et méprisable. Un tel message est à l’évidence constitutif d’une injure, et tous ceux qui l’auraient RT sans plus de précision se seraient rendus coupables de la même infraction. En revanche, il me semble évident que n’encourent pas les foudres du droit pénal ceux qui RT le même message en le faisant précéder ou suivre de « ces propos sont honteux« , ou « ces attaques lamentables me donnent la nausée« .
Précisons : même s’il est possible, notamment via Google, de tomber sur un tweet ou un retweet isolé, la limite inhérente à cette plate-forme (140 caractères) devrait impliquer qu’on vérifie dans les messages immédiatement précédents ou suivants si une prise de distance n’a pas été affichée. Parfois, il n’y a effet pas la place de l’inclure dans le message lui-même ! Mais en tout cas, si vous retweetez de telles horreurs, évitez de partir du principe que « tout le monde comprendra naturellement » que c’est parce que vous condamnez.
Ceux qui vous suivaient depuis dix minutes, ou qui ne vous suivent pas, ne vous connaissent pas, pourraient comprendre de travers.
En conclusion, droit et bon sens se conjuguent pour vous inviter à la réflexion et à la prudence. Comme l’écrit si bien Hervé Valoche, un tweet est si vite arrivé. A plus forte raison pour les fulgurants RT, il convient de tourner sept fois son smartphone dans sa paume avant de tweeter !
P.S : ajouter à cet article l’entretien avec le journaliste de RFI Thomas Bourdeau, dont voici les extraits audio. Notez bien que cette conversation date de décembre 2012.
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